Franz LISZT (1811-1886), Années de pèlerinage, la Suisse

 

(Roger Muraro, mercredi 9 août, église Saint-Etienne, Vallouise-Pelvoux)

  1. Chapelle de Guillaume Tell (Lento — Più lento — Allegro vivace)
  2. Au lac de Wallenstadt (Andante placido)
  3. Pastorale (Vivace)
  4. Au bord d'une source (Allegretto grazioso)
  5. Orage (Allegro molto - Presto furioso - Meno Allegro - Più moto)
  6. Vallée d'Obermann (Lento assai - Più lento - Recitativo - Più mosso - Presto - Lento)
  7. Églogue (Hirtengesang) (Allegretto con moto)
  8. Le mal du pays (Lento — Adagio dolente — Lento — Andantino — Adagio dolente — Più lento)
  9. Les cloches de Genève (Nocturne) (Quasi Allegretto — Cantabile con moto — Animato — Più lento)

 

Les Années de pèlerinage est un cycle de trois recueils de pièces pour piano du compositeur Franz Liszt, composées au cours de ses voyages en Suisse et en Italie avec la comtesse Marie d'Agoult, entre 1835 et 1839. Les deux premiers volumes ont été publiés en 1855 et 1858, et plus tard un troisième a été ajouté, comprenant des pièces écrites entre 1867 et 1881.

 

Ce cycle se compose de trois années : la première évoque la Suisse, les deux autres l'Italie. Toutes les pièces sont d'une grande profondeur poétique, et souvent d'inspiration littéraire, en particulier par des références explicites à Pétrarque, Schiller, Byron ou Dante. Le 2 mai 1832, Liszt écrivait dans une lettre à un de ses premiers élèves, P. Wolf : « Voici quinze jours que mon esprit et mes doigts travaillent comme deux damnés : la Bible, Platon, Locke, Byron, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Beethoven, Bach, Hummel, Mozart, Weber sont tout à l'entour de moi ; je les étudie, je les médite, les dévore avec fureur. »

 

C'est dans cet état d'esprit de fièvre intellectuelle et artistique qu'il écrit le cycle des Années de pèlerinage. Au moment de sa rencontre passionnelle avec Marie d'Agoult en 1833, le compositeur est donc déjà plongé dans cette quête intellectuelle qui « contient en germe toutes les dispositions psychiques qui vont orienter Liszt vers la recherche de l'absolu, par les moyens des amours humaines, de l'art et de la religion. C'est à la lumière de ces aspirations multiples que s'élaborent les premières pièces des Années de pèlerinage dont les différentes étapes conduisant à la version définitive s'échelonneront presque jusqu'à la fin de sa vie. »

 

Liszt et Marie d'Agoult s'étaient rencontrés lors d'un concert dans un salon de la noblesse parisienne. La comtesse a alors vingt-huit ans, l'artiste six ans de moins. Malgré leur différente position sociale, ils éprouvent aussitôt une violente passion réciproque. Pour lui, elle quitte son mari, le comte Charles Louis Constant d’Agoult, de quinze ans son aîné, en 1835. Ils fuient alors la France et arrivent à Genève le 21 août 1835 ; Liszt y dirige la classe de piano du Conservatoire et se produit en artiste international. Au cours de ses excursions comme au hasard de ses lectures, le compositeur confie alors au piano ses impressions ; ainsi naissent 19 pièces destinées aux trois cahiers de l'Album d'un voyageur (1836) dans des pays « consacrés par l'histoire et par la poésie ».

 

Après un tri sévère, certaines d'entre elles constituent la Première Année de pèlerinage : Suisse (1841), base de l'édition définitive de 1855. Dans l'avant-propos qui figure en tête de la première édition (1841), Liszt définit l'esthétique de ces pages en un texte qui pourrait être une charte du romantisme musical, caractérisé par une projection de l'artiste dans l'univers afin d'atteindre l'idéal absolu auquel il aspire : « À mesure que la musique instrumentale progresse, elle tend à s'empreindre de cette idéalité qui a marqué la perfection des arts plastiques, à devenir non plus une simple combinaison de sons, mais un langage poétique plus apte peut-être que la poésie elle-même à exprimer tout ce qui, en nous, franchit les horizons accoutumés, tout ce qui échappe à l'analyse, tout ce qui s'attache à des profondeurs inaccessibles, désirs impérissables, pressentiments infinis. C'est dans cette conviction et cette tendance que j'ai entrepris l'œuvre publiée aujourd'hui, m'adressant à quelques-uns plutôt qu'à la foule, ambitionnant non le succès mais le suffrage du petit nombre de ceux qui conçoivent pour l'art une destination autre que celle d'amuser les heures vaines, et lui demandent autre chose que la futile distraction d'un amusement passager. »

 

Liszt aspire donc à une communion avec les choses qui l'environnent, afin de restituer cette conscience à la fois dionysiaque et métaphysique de l'univers. La conquête du « moi » apparaît ainsi liée à la nostalgie d'un inaccessible absolu.

 

Chaque morceau du recueil porte une épigraphe.

 

Ainsi, la Chapelle de Guillaume Tell, hymne solennel à la liberté, avec son thème ample, solennel et serein, évoque la gloire du héros avec la mention des vers de Schiller, « Un pour tous, tous pour un ».

 

Conçu dans l'esprit du nocturne, Au lac de Wallenstadt respire pourtant une certaine joie de vivre.

 

La troisième pièce, Pastorale, et Le Mal du pays ont des accents plus impressionnistes.

 

Au bord d'une source, est une rêverie dans laquelle Schiller est évoqué : « dans une murmurante fraîcheur commencent les jeux de la jeune fille ».

 

Tandis que la pièce intitulée Orage fait entendre un déchaînement grandiose d'octaves, Églogue est d'inspiration franchement virgilienne.

 

La Vallée d'Obermann, inspirée par la lecture de l'ouvrage de Senancour, reflète la position de l'homme dans la nature et passe du désenchantement exprimé par les harmonies dissonantes et les modulations aux tons éloignés à la joie naissante pour s'achever dans une exaltation croissante.

 

D'une sonorité somptueuse, Les Cloches de Genève, le dernier morceau du premier recueil, sont précédées par une citation de Byron : « Je ne vis pas en moi-même, mais je deviens une part de ce qui m'entoure ». Cette pièce resplendit d'une intense joie de vivre.