Robert SCHUMANN (1810-1856), Fantaisie en ut majeur op 17
(Théo Fouchenneret, jeudi 10 août, église Saint-Etienne, Vallouise-Pelvoux)
- - In modo fantastico, Alla Leggenda, Tempo primo
- - Moderato, Sempre energico
- - Andante sostenuto
À présent, le règne de Jean-Paul (Les Papillons Op. 2) s’est terminé, celui d’Hoffmann (les Fantasiestücke, les Davidsbundler, Kreisleriana, les Novelettes) va commencer ; la Fantaisie Op. 17 qui échappe à ces deux influences est sans doute, de toutes les compositions de Schumann, celle qui s’apparente le plus à un journal intime : à la passion authentique qu’il avait cru éprouver pour Ernestine von Fricken, génératrice de plusieurs chefs-d’œuvre, dont le Carnaval Op. 9, succède la Fantaisie qui est un pathétique chant d’amour destiné à Clara, sa future femme, sa seule inspiratrice désormais, dont la découverte passionnée allait permettre celle de sa propre grandeur.
« Pour comprendre cette œuvre, écrit Schumann à Clara, il faut que tu te reportes à ce malheureux été de 1836 où j’avais renoncé à toi. Le premier mouvement est, à coup sûr, ce que j’ai écrit de plus passionné, c’est une plainte profonde qui s’élance vers toi. » Dédiée à Liszt, qui la jugeait « merveilleuse et magnifique », la Fantaisie devait primitivement contribuer à une collecte entreprise par son futur dédicataire pour l’érection d’un monument de Beethoven à Bonn et Schumann avait alors songé à « une grande sonate de Florestan et Eusébius » intitulée Obole et comprenant trois parties : Ruines, Arc de Triomphe, Palmes ou Couronne d’Étoiles. Cette ébauche musicale fut achevée en juin 1836, puis provisoirement abandonnée, le projet de Liszt ayant été différé ; c’est en 1838 que Schumann la remania pour la publier l’année suivante sous le titre le plus simple et général de Fantaisie pour piano, Opus 17.
C’est une œuvre complexe, bien plus secrète et multiple que le laissent croire son titre ou ces vers de Schlegel cités en épigraphe : « Parmi tous les sons qui remplissent et irisent l’univers, court secrètement une mélodie douce à l’oreille de qui sait écouter ».
En fait ces trois références sont reconnaissables dans la Fantaisie : Beethoven, Clara et Schlegel.
Dans le premier mouvement, « à jouer d’un bout à l’autre avec passion et dans une atmosphère fantastique », les deux premières de ces trois origines se rejoignent puisque la plainte profonde de cette vaste improvisation s’exprime par une citation textuelle de la « Bien-aimée lointaine » de Beethoven, au moment où Schumann sent Clara lui échapper après que le terrible Wieck eut pris la décision de les séparer. Ce mouvement de forme sonate a deux thèmes : l’un en ut majeur, tonalité dominante de la Fantaisie, le second en fa majeur, sorte de répétition dans un ton plus humble et plaintif, plaidoyer pathétique du jeune compositeur usant de toute sa séduction, sachant que son langage sera entendu et compris par la jeune pianiste et musicienne qu’est Clara. Vient ensuite une « Légende » formée de quatre variations, « religieuse, sombre et lente interprétation du thème », qui sort victorieuse des différentes attaques qu’elle subit, de sorte que le mouvement s’achève dans un climat presque calme et serein.
Le second mouvement, celui qui devait s’appeler « Arc de Triomphe », se présente comme une sorte de marche triomphale et se réfère à Beethoven, dans la mesure où son thème énergique n’est pas sans offrir quelques analogies avec le thème varié de l’Appassionata. La violence évoque les marches et les contremarches des compagnons de David, des artistes jeunes et enthousiastes qui veulent triompher de la lourdeur et de la bêtise des Philistins. La tendresse s’exprime par la voix d’Eusébius, c’est-à-dire de Schumann, éperdu d’amour et de bonté.
Le dernier mouvement, « lent et très doux d’un bout à l’autre », est une longue méditation romantique placée sous le signe d’Eusébius, d’un « irisé » sonore Schlegelien, avec ses constantes modulations qui annoncent César Franck. Et ce lied d’un plan incertain trouve avec sûreté le chemin de notre cœur au travers de tous les méandres d’une rêverie pleine d’espoir et de paix.
Ce plaidoyer schumannien devait être couronné de succès : non seulement Clara a su découvrir le génie du musicien et s’unir à lui en dépit de l’opposition paternelle, mais cette Fantaisie, si moderne dans son contenu, si pathétique et si grave, allait constituer l’un des plus hauts sommets de toute la littérature pianistique.
Société de Musique de Chambre de Marseille