Robert SCHUMANN, Kreisleriana, fantaisie pour piano op 16

 

(Adam LALOUM, mardi 13 août, église Saint-Étienne, Vallouise-Pelvoux)

 

  1. Vivacissimo
  2. Con gran sentimento et non troppo vivace. Intermezzo 1 et 2. Tempo 1
  3. Molto agitato
  4. Lente assai
  5. Vivace assai
  6. Lento assai
  7. Vivace assai
  8. Vivace e giocoso

 

Composé la même année que les Sonates en la et en sol mineur, les Scènes d'enfant et les Novelettes, ce cycle est un chef-d’œuvre extrêmement subtil et fantasque, passant du démoniaque au lumineux. La dédicace à Chopin était judicieuse : forme et esprit rapprochent ces Kreisleriana des scherzos.

 

Schumann s’est inspiré des Lebensansichten des Katers Murr (« Les Opinions du chat Murr », 1819-1822) d’E. T. A. Hoffmann, où apparaît l'inquiétant Kreisler, vieux kapellmeister génial et fou. Schumann identifiait à ce personnage le compositeur thuringien Ludwig Böhner. Les numéros impairs et le n° 8 sont violents, fantastiques, hallucinés; les numéros pairs (sauf n° 8) sont lents et angoissés, dans une sorte d’alternance d’excitation et de dépression. Musique de la folie, c'est la plus hoffmannienne des œuvres de Schumann; Eusebius et Florestan sont débordés par le personnage fantastique d'Hoffmann. Ses alternances de dépression et d'exaltation et sa passion pour Julia font irrésistiblement penser à la folie de Schumann et à son amour pour Clara.

 

Ces huit grandes Phantasien(sous-titre très romantique qui signifie « Hallucinations » ) forment un cycle tout à fait homogène. Elles ont la forme de scherzos avec trios. Les n°2,4,6 sont inspirés par Eusebius; les autres par Florestan.

 

1. Agitato assai (ré mineur) . Tourbillon de triolets ascendants sur trois octaves, tendu, affolé, dans l'esprit d'un scherzo beethovénien. L'épisode central en si bémol majeur exprime un sentiment de détente presque heureuse ; moment de rêve dans une harmonie opalescente.

2. Intimissimo e non troppo allegro (si bémol majeur). La pièce la plus riche et la plus développée du cycle. Le splendide thème principal, tendre, rêveur et généreux, se présente comme un «refrain qui alterne avec deux intermezzi de caractères très différents, jouant le rôle de «couplets », le premier molto vivace, le second più mosso, spirale sonore qui rappelle l'agitation violente de la première pièce. La dernière reprise du refrain aboutit à une sublime modulation fugitive à fa dièze majeur. Belle coda romantique adagio.

3. Molto agitato (sol mineur). Pièce sombre en triolets fulgurants. L'épisode rêveur en si bémol majeur est particulièrement important ; son écriture est riche et serrée. Troisième partie en canon, en mouvement direct en mouvement contraire alternés. Coda très tendue qui se termine par de violents accords syncopés.

4. Lento (si bémol majeur): Mélodie tendre, grave, d'une profonde tristesse. L’épisode central, plus animé, est un bref moment de détente,  en doubles croches égales, avant le retour à la dépression initiale.

5. Vivace (sol mineur). Pirouette ironique et diabolique. Épisode central douloureux, désolé, rythmiquement instable.

6. Lento assai (si bémol majeur). Rythme évoquant une sicilienne nostalgique ou une vieille ballade populaire. Le thème principal encadre deux intermèdes, comme dans le n° 2 : le premier inquiet, harmoniquement audacieux, le second plus animé et plus heureux.

7. Vivace (ut mineur). Tourbillon frénétique de doubles croches, de plus en plus effrayant. Soudaine coda en grands accords calmes de mi bémol majeur : « coda mortuaire », dit M. Beaufils.

8. Vivo e giocoso (« spielend », sol mineur) . Sinistre chevauchée, au rythme pointé obsédant. Comme dans Ie n°2 et le n° 6, il y a deux intermèdes : le premier (mi bémol majeur) à la grande mélodie calme dans le grave (mais le rythme pointé subsiste à la main droite), le second, violent, au rythme de plus en plus marqué. À la reprise, le refrain s'évanouit dans le néant.

 

Les Kreisleriana furent écrites avec une rapidité stupéfiante : dans son journal, nous lisons, à la date du 3 mai 1838 : "Trois merveilleuses journées de printemps, dans l'attente d'une lettre (de Clara ?), ensuite écrit les Kreisleriana en quatre jours " ; et deux jours plus tard nous lisons dans le même journal : "Kreisler, final en sol mineur, 6/8 avec trio en ré mineur, composé dans la fièvre."

 

Pourtant, jusqu'au bout son auteur déclara: "Mon œuvre préférée ce sont les Kreisleriana" et nombre de mélomanes aujourd'hui se rallient à cette préférence, en hommage à cette ardeur d'un jeune maître de 28 ans, des flots de passion qui déferlent dans ces pages tourmentées, brutalement interrompus par de lyriques extases ou par ce final irréel qui, fuyant la banalité d'une conclusion brillante et génératrice d'applaudissements, conduit l’œuvre aux limites extrêmes de l’ineffable et du silence...

 

Les Kreisleriana sont considérés comme l'un des plus grands chefs-d'œuvre pour piano solo du compositeur et de la musique romantique, avec entre autres la Fantaisie, op. 17.

 

La durée d'exécution est d'environ 30 minutes.

 

Les Kreisleriana par Yuja Wang...